« La première partie de la vie se passe à désirer la seconde ;
la seconde à regretter la première »
Alphonse KARR (1808-1890) – Journaliste français et sur le départ
Martine Aubry doit bouillir intérieurement face à la prudence avec laquelle cette couille-molle de François Hollande et ce gros naze de Jean-Marc Ayrault appliquent son programme. En 2011, elle avait fait valider par les militants socialistes un projet que le nouveau président avait dû reprendre de force plus que de grès dans sa campagne après sa victoire à la primaire. Mais l’histoire s’est arrêtée là pour elle, qui s’est mise à l’écart et n’a pas paru dans les meetings.
Elle va quitter le poste de 1er secrétaire du PS. « Toutes les conditions sont réunies », ce qui signifie qu’elle a réussi à éloigner les hollandistes de sa succession et à imposer un proche, Harlem Désir ou Jean-Christophe Cambadélis. Un chef qui ferait moins bien qu’elle. Elle a de son côté confié avoir des idées pour la suite et il ne s’agit pas forcément d’ambitions publiques. La politique n’est pas le centre de son système solaire. Elle veut avoir une seconde vie. La vraie.
Elle revient de loin. En 1991, elle est jeune ministre du travail du gouvernement d’Edith Cresson. En 1995, les socialistes veulent qu’elle se présente aux élections présidentielles après que son père Jacques Delors ait renoncé mais le manque d’ambition est héréditaire. En 1997, l’égérie de la gauche redevient ministre de l’emploi dans le gouvernement de Lionel Jospin. On lui doit ce qui est la grande œuvre et la grande erreur de sa vie : les 35 heures. Sous prétexte de donner des acquis sociaux aux travailleurs, elle a sans concertation augmenté le temps de loisir des classes moyennes et réduit le pouvoir d’achat des classes populaires. C’est la gauche bête.
En 2002, elle a payé cette faute en perdant aux élections législatives deux mois après le coup de tonnerre du 21 avril. Elle est entrée dans sa traversée du désert et on l’a crue perdue pour la politique nationale. Elle s’est faite discrète et on ne l’a revue ni à Solferino ni à la radio. Elle n’était pas résignée pour autant. Mais comme elle est revenue par hasard, elle n’a jamais cru qu’elle pourrait se présenter aux élections présidentielles quand elle a pris le PS en 2008.
Les socialistes voulaient surtout éviter Ségolène Royal. Elle a gagné avec 50% des voix et 102 bulletins d’avance et personne ne pensait qu’elle aurait la légitimité suffisante pour mener la rénovation du parti et abolir les divisions internes. La gauche a pourtant gagné les élections présidentielles en 2012 et Martine Aubry croit que c’est en grande partie de sa faute. Elle ignore que la gauche ne pouvait que gagner après tant d’années et contre une droite en bout de course.
C’était sa seconde vie. On la croyait perdue et elle s’est retrouvée pour agir auprès des siens utilement. Elle ne regrette pas d’être restée et c’est pour cela qu’elle n’a pas entièrement dit adieu à son destin national. Elle se verrait bien 1er ministre à mi-mandat en recours ultime si les choses tournaient mal. Mais cette seconde vie est une vie parallèle. Elle croit avoir sauvé un PS qui « faisait pitié ». Elle a la critique facile avec les autres et l’éloge encore plus facile avec elle-même. Elle oublie que c’est le soir de sa défaite aux primaires que la victoire est née.
Elle ne voulait pas être présidente et cela tombe bien car les français ne voulaient pas qu’elle le soit. Elle ne pouvait d’ailleurs pas l’être. Elle est une femme, or les français élisent des hommes capables de mener des dures campagnes. Elle n’est pas populaire, car sa froideur légendaire fait ton sur thon avec son manque de talent oratoire qui la fait lire ses discours plus qu’elle ne les fait vivre à son auditoire. Elle n’aime pas se dévoiler, et elle ne montre sa vie privée qu’à contrecœur avec cette une de Paris Match que tout le monde a trouvé bizarre. Martine à la plage ou Martine à la campagne, ce n’est pas là où elle se la raconte le mieux.
Martine Aubry s’en va le cœur léger vers d’autres aventures car elle croit avoir accompli sa mission et « fait le travail ». Elle a restauré le PS pour en refaire un parti de gouvernement capable d’assumer le pouvoir. Elle a réveillé la ville de Lille qui commençait à somnoler après 18 ans sous Augustin Legrand et 28 ans sous Pierre Mauroy. Elle a reconquis le respect envers elle-même et c’est là l’essentiel. Mais avoir la conscience tranquille est un signe de mauvaise mémoire. Les socialistes retiendront ce qu’ils veulent de Martine Aubry, mais les français n’en retiennent que les 35 heures. Travailler moins pour produire moins, ou la plaie de l’économie.