« Le pire quand on a une idée c’est de n’avoir qu’une idée »
ALAIN (1868-1951) – Philosophe français et capable d’avoir plusieurs idées à la fois
La profession de foi est un symbole de la campagne présidentielle, même si elle gaspille beaucoup de papier pour les voix qu’elle rapporte. Le candidat y détaille son programme et l’électeur s’y informe avant de faire son choix. Voilà pour la théorie. Car la pratique est plus prosaïque. En général, personne ne lit les professions de foi et personne ne connait le programme des candidats, à part deux ou trois grandes propositions des deux ou trois favoris.
L’enjeu d’une campagne est donc d’en imposer le thème principal. Celui qui fait parler du sujet qui met en valeur ses qualités mène les débats et gagne souvent l’élection. Pensons à Jacques Chirac. En 1995, il impose le thème de la fracture sociale pour ringardiser Edouard Balladur et est élu. En 2002, revenu de ses envolées lyriques à gauche, il bat Lionel Jospin sur le thème de l’insécurité, montrant que le choix du thème se fait aussi sur les défauts du rival.
Les gens ne retiennent pas tout. Choisir un thème de campagne, c’est leur imposer la seule idée qu’ils auront à retenir. Même les petits partis peuvent avoir du succès à ce jeu-là s’ils se concentrent sur des sujets de niche : le FN avec l’immigration, les verts avec l’écologie, Lutte Ouvrière avec les « travailleurs, travailleuses ». Astuce reprise par François Bayrou avec la dette.
Il n’y a pas besoin d’être très précis. En 1988, François Mitterrand faisait un carton avec le thème le moins engagé de toute l’histoire électorale française : le « ni-ni » ; ni nationalisation, ni privatisation. En 2007, Nicolas Sarkozy gagnait sur un slogan, « Travailler plus pour gagner plus », et tout le monde comprenait que cela voulait dire « plus de pouvoir d’achat ». En 2012, le président pourrait être handicapé par un excès de précision et un manque de simplicité.
Il a beau faire la promotion de la TVA sociale, ce n’est jamais qu’une usine à gaz et un catalogue de mesures complexes, comme le furent le paquet fiscal de 2007 ou les deux plans de rigueur de 2011, auxquels personne n’avait rien compris. C’est surtout une tentative bien peu adroite de concentrer le débat sur une mesure mineure, à l’image d’une Ségolène Royal qui en 2007 croyait faire toute sa campagne sur le pavoisement du drapeau aux balcons.
Si les campagnes ont tendance à ne se jouer que sur un seul thème alors que l’on devrait y discuter de tout, elles ont au moins le mérite de se disputer sur des enjeux concrets. Mais s’il est important d’avoir un programme, il l’est encore plus de savoir le mettre en valeur.
Ainsi François Hollande a beaucoup tangué début janvier pour choisir le moment où il enlèverait le haut et révélerait les dessous de son programme. Il avait d’abord pensé ne le faire qu’en février pour ne pas subir seul la critique, au risque de perdre l’électeur. C’est le problème des campagnes qui commencent cinq ans avant la date officielle, il faut remettre régulièrement de l’action pour ne pas lasser le spectateur. Finalement il l’a fait fin janvier, et ça a payé.
Il a ainsi pu mettre du concret dans sa campagne et casser l’idée que sa candidature c’était du flan. En proposant le premier son programme, il a pris le contrôle de l’agenda et forcé la majorité à aller sur son terrain. Mais plus que le thème, c’est le ton qu’il a réussi à donner. On ne retiendra rien de ses « 60 engagements pour la France », comme on n’avait rien retenu des « 110 propositions pour la France » de François Mitterrand.
Ce que l’on a retenu, c’est le slogan « le changement, c’est maintenant », « changer la vie » disaient les vieux de 1981. Au fait, la campagne de 2012 se jouera sur l’économie. A ce petit jeu et sans même demander le programme des candidats, on sait déjà qui paiera l’addition.