« La mort c’est tellement obligatoire, que c’est presque devenu une formalité »
Marcel PAGNOL (1895-1974) – Ecrivain français et qui a dû se réincarner
On ne sait pas s’il l’a fait exprès mais il a réussi. François Hollande a relancé le débat sur l’euthanasie au détour d’une périphrase que lui seul qui n’aime pas s’engager pouvait sortir, en parlant des « cas exceptionnels ». Son pragmatisme s’adapte à tout et l’eau tiède qu’il distille épouse toutes les carafes. Il n’est pas le premier. En 2002, Jacques Chirac s’était défilé devant la demande écrite de Vincent Imbert d’un « droit de mourir ». En 2008, Nicolas Sarkozy n’avait pas tranché le cas de Chantal Sébire avec la formule sitôt rituelle de « droit à une mort digne ».
C’est une règle non écrite : l’euthanasie ne revient dans le débat qu’en cas d’actualité. Bien souvent, une famille prend à témoin le président et lui met le couteau sous la gorge en lui faisant du chantage. Elle revendique le droit de débrancher un de ses malades pour cesser de prolonger artificiellement ses souffrances. Et les siennes par la même occasion, car les proches souffrent dans leur âme ce que l’incurable vit dans son corps. François Hollande devrait se méfier. En ayant ouvert lui-même le débat, il risque d’être vite sollicité et devra alors prendre une décision. Or il les remet toujours à plus tard, car il s’en remet à ce qui est « le plus juste ».
Le problème, c’est que ces faits divers empêchent une véritable réflexion de fond sur ce sujet de société. La pensée commune dit que chaque homme a droit à la vie et que nul ne peut la lui retirer sans son consentement. Or il est impossible d’obtenir l’avis d’un malade en phase terminale : les proches voire les médecins prennent l’initiative d’eux-mêmes et risquent de lourdes sanctions pénales. Soulager la douleur, c’est ne pas laisser la vie sauve. Fors l’honneur.
L’euthanasie est avant tout condamnée pour des positions morales. L’Eglise est contre car c’est l’équivalent d’un suicide or seul dieu donne et ôte la vie. Mais elle est contre tout : l’avortement parce qu’il tue les fœtus, la contraception parce qu’elle tue les gamètes, le préservatif parce qu’elle tue le plaisir, la masturbation parce que c’est Mozart qu’on assassine, l’homosexualité parce que ce n’est pas naturel. Et ses prêtres pédophiles lui font du tort.
L’évolution de l’humanité est ironique. Longtemps le crime fut justifié pour appliquer la justice, de la loi du Talion à la peine de mort en passant par l’Etat de guerre. Aujourd’hui il est inscrit sur les tables de la loi qu’on ne tuera point et tout le monde ou presque le respecte. La légalisation du permis de tuer pour raisons médicales irait donc à contre-sens de l’histoire. Or les juges sont cléments et la jurisprudence annonce toujours par avance les évolutions de la loi.
Celle qui fait autorité actuellement est la loi Léonetti, du nom de ce brave député qui a réussi à imposer un compromis consensuel sur la question en 2005. Son texte condamne l’euthanasie généralisée mais autorise l’accompagnement vers la mort dans les cas extrêmes très spécifiques et très encadrés. C’est ce qu’on appelle une réponse problem solving : on montre qu’on apporte une solution mais celle-ci laisse le problème en l’état. Statu quo ante, le passé a tout l’avenir devant lui. Un moyen habile de sauver la face face à un thème peu conflictuel.
Des contrées comme les Pays-Bas ont déjà légalisé le suicide assisté. Mais l’ecstasy aussi. On observe leur évolution et elle a des résultats contrastés. Chaque société est différente et n’a pas le même seuil de tolérance aux changements de mentalité. Il faut donc raisonner en bon français pour rompre avec cette chronique d’une mort interdite. Cet enjeu a trop d’importance pour être débattu par les seuls hommes politiques, qui n’ont aucune idée de l’impulsion qu’ils veulent donner. Mais on ne peut pas faire de consultation sur tout. Comme souvent, c’est l’évolution créatrice de la société qui choisira, par petites touches et par mouvements brusques.
L’euthanasie est un défi majeur en matière de bioéthique. Une solution viable serait de mener des expérimentations, comme pour les dispositifs pédagogiques dans les écoles : on teste la solution dans quelques hôpitaux et on la généralise si elle se révèle satisfaisante. Mais la peur cachée de ce débat est bien dans le risque de dérapage à terme. Il sera impossible de revenir sur une loi qui sera entrée dans les mœurs. Le doute s’emparera du système de santé que les gens assimileront à une filière de crime organisé. C’est toute la relation de confiance du malade au médecin qui s’en trouvera ébranlée. Le particulier ne doit pas mettre en danger le général.