« Le monde est rempli de faux témoins »
Louis ARAGON (1897-1982) – Poète français et sans alibi
C’est aujourd’hui qu’on change le président. La passation de pouvoir aura lieu à l’Elysée entre Nicolas Sarkozy et François Hollande et officialisera le changement pour ceux qui n’y croient pas encore. Nicolas Sarkozy fera bonne figure en félicitant son bourreau pour garantir la continuité républicaine, une semaine après son invitation du 8 mai où il y eut deux présidents.
Pour le remercier, François Hollande lui serrera la main en passant et marquera le contraste par rapport à 2007 où son hôte avait invité toute sa famille et la tablée du Fouquet’s. Il essaie déjà depuis une semaine de la jouer modeste au son de l’accordéon et des restos pas chers. Dommage que Bertrand Delanoë lui prépare un festin de roi pour lui rendre hommage.
Ségolène Royal ne sera pas invitée mais l’enfant de la télé Thomas Hollande sera là. Il y aura des tas de témoins de ce passage de témoin puisque la cérémonie sera retransmise à la télévision. Les mamies regarderont et apprécieront ce symbole de la permanence de l’Etat qui permet même après la bagarre politicienne de réunir le pays autour de son nouveau chef.
Les passations de pouvoir entre droite et gauche ne sont d’ailleurs pas les plus tendues. Celle d’aujourd’hui sera cordiale comme celle de 1995 entre François Mitterrand et Jacques Chirac fut joviale. Le sortant avait alors fait campagne pour l’entrant qui n’en était toujours pas revenu. Au contraire, celle entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy fut pâle vu le monceau de sarcasmes que s’étaient adressés les deux hommes, qui n’avaient pas passé le 8 mai ensemble.
L’un des deux apprécie rarement de déménager. Valéry Giscard d’Estaing avait peiné à passer le relais à François Mitterrand en 1981 tant il restait accroché à son trône. Charles de Gaulle n’avait pas souhaité bonne chance à Georges Pompidou en 1969 puisque ce dernier l’avait poussé vers la sortie par sa candidature de Rome. Le même Charles de Gaulle ne s’était pourtant pas embarrassé au moment de virer René Coty de sa camomille de l’Elysée en 1958.
Or les passations ne sont pas toujours pacifiques. On le voit avec les pays d’Afrique comme le Gabon ou la Côte d’Ivoire où les sortants peinent à reconnaitre leur défaite. Et il a longtemps fallu en France changer de régime pour changer de gouvernement. L’an dernier encore, François Baroin accusait la gauche d’avoir pris le pouvoir « par effraction » en 1997.
C’est le cas des changements de ministre où le sortant l’a toujours mauvaise. C’est moins le cas des changements de 1er ministre car ils sont souvent au bout du rouleau. Alain Juppé avait passé la main exténué en 1997. Lionel Jospin était honteux d’en finir en 2002. Dominique de Villepin était soulagé de partir en 2007, surtout sa femme. Les photos de serrage de main sur le perron symbolisent ainsi la fin du match et le passage du temps. Mais la passé c’est dépassé.
Souvent les passations de pouvoir sont des cérémonies protocolaires et ennuyeuses. Le président-potiche sous la IIIème et la IVème République passait souvent le relais un bouquet de chrysanthèmes à la main comme pour mieux montrer à son successeur ce qui l’attendait durant son mandat. Or aujourd’hui que fait le président à part inaugurer les chrysanthèmes ?
Les passations de pouvoir ne sont que des passages de témoins. Le président de la république est censé avoir tous les pouvoirs or il n’est qu’un témoin de son temps qui regarde passer les trains. Il n’a aucune prise sur la finance et est dragué par tous les lobbyistes de la terre. Il lui manque à peu près tout pour être un chef d’Etat : être un chef et avoir un Etat. L’Etat ce n’est pas lui, même si les cérémonies essaient encore de le faire croire. Il est tout juste bon à signer des parapheurs comme Paul Deschanel dans le temps sur la taille des poulaillers.
Cette cérémonie symbolise finalement un Etat en crise qui n’a plus d’autorité et essaie encore de le faire croire en abusant des dépôts de gerbe qui donnent la gerbe au contribuable. Le train de vie de l’Etat va trop vite et les élus de la république sont en représentation plus qu’en action car ils ont de l’argent pour l’un et pas pour l’autre. Et on se désolera que la priorité n°1 des français soit la baisse du salaire du président, une goutte d’eau dans cet océan de dette.