« Il faut savoir terminer une grève »
Maurice THOREZ (1900-1964) – Ancien secrétaire général du PCF et 1er mais…
« Ce n’est pas la rue qui gouverne », disait Jean-Pierre Raffarin. Ça va mieux en le disant. Les hommes politiques veulent tous être président de la république ou 1er ministre parce que c’est là où est le pouvoir, pour reprendre une vieille formule de Kennedy. Et ils se rendent compte quand ils y accèdent que ce n’est pas vrai. Un prince ne gouverne pas. Il gère le pouvoir au jour le jour en priant pour que n'éclate pas une fronde, une révolte ou une révolution.
Les dirigeants des pays arabes l’ont vérifié à leurs dépens près de deux siècles après le Printemps des peuples en Europe. Les gouvernants croient commander les gouvernés or ils sont commandés par eux, surtout s’ils ont l’œil rivé sur les sondages et la prochaine élection. Il est bon d’écouter le peuple mais pas de trembler à la moindre de ses manifestations d’humeur, là où d’autres ont moins de scrupules à massacrer les révoltes dans le sang.
L’ordre règne à Homs plus qu’à Varsovie. Depuis la révolution française, le peuple descend dans la rue pour faire entendre ses revendications : d’abord le pain, puis le travail, enfin les loisirs. Les premières furent matées dans le sang comme la Commune de Paris de 1871 ou les grèves ouvrières de 1906. Les dernières mirent en échec le pouvoir en place comme les grèves contre la réforme des retraites en 2003 ou contre le CPE en 2006.
C’est la faute à Mai 68, qui met les gens dans la rue contre le chômage et contre le travail. Les étudiants veulent plus de cours et des motifs pour les manquer et les parents plus d’ordre pour pallier leur permissivité. Et le pouvoir a peur, surtout depuis ces révolutions de salon des grèves de 1984 contre la suppression de l’école privée, de 1986 contre la privatisation de l’enseignement supérieur ou de 1995 contre la réforme des régimes spéciaux de retraite. La moindre manifestation à 15000 chevelus mérite désormais la réception d’une délégation sous les ors de la république.
En 2011, Stéphane Hessel - 90 ans et plus toutes ses dents - signait « Indignez-vous », un record de ventes et un bref pamphlet à l’eau tiède sans aspérité et avec tous les lieux communs de la pensée unique antiraciste, pacifiste et progressiste. Il y encourageait les jeunes générations à s’indigner - pas à se rebeller, faut pas pousser - contre les méfaits de la société libérale et capitaliste, comme à la grande époque de la Résistance, excusez-moi du peu.
Les maquisards du dimanche (ou de la semaine, le jeudi c’est bien pour ne pas aller au travail) n’ont pas besoin de ça pour prendre les barricades. Bercés par la mythologie pseudo-soixantuitarde et les exploits des ouvriers du Front Populaire de 1936, ils rêvent de leur grand soir, même si au petit matin ils auront la gueule de bois. Les lendemains qui chantent ce n’est pas pour demain, alors ils vivent au jour le jour sans penser aux conséquences. Et ils se paient de temps en temps le luxe d’une grève de trois mois qui paralyse le pays.
Les insensés qui sont censés nous gouverner privilégient leur côte de popularité à leur postérité et reculent en pensant sauver l’essentiel, à la notable exception de la réforme des retraites de 2010. Le conflit social est un sport qui se joue à deux sans dialogue et à la fin, ce sont toujours les syndicats qui gagnent et la France qui perd. Il ne faut pas s’étonner alors que le pays soit l’un des plus anticapitaliste et altermondialiste du monde. Le patron n’emploie pas, il exploite. L’argent ne fait pas vivre, il fait vivre aux dépens des autres.
C’est la rue qui gouverne, or jamais le peuple n’a eu aussi peu de pouvoir. Loin d’avoir son destin en main, il en a remis les clés à une minorité active qui a rétabli le suffrage censitaire à son seul profit. La majorité silencieuse qui préfère le changement à l’inertie des corporatismes n’a qu’à la fermer. Or le pouvoir en rajoute en se mettant tout seul la rue à dos. Par manque de méthode, de doigté ou de pédagogie. Ou par manque de stratégie, en ouvrant trop de fronts à la fois et en horripilant tout le monde en même temps.
Ne vous indignez pas. Le monde comme il va ne va pas toujours en s’améliorant, mais tout de même on vit drôlement mieux aujourd’hui qu’il y a deux siècles. L’essentiel est acquis alors on finasse sur les détails, le superflu et le superficiel. On s’indigne pour se sentir vibrer quand d’autres se révoltaient pour sauver leur vie. Notre pays qui va droit dans le mur scie avec entrain la branche sur laquelle il est assis. Alors que nous avons du retard à rattraper, nous en rajoutons et perdons notre temps en querelles intestines et inutiles. Les meilleures révolutions, ce sont celles qui échouent.