« La fin du monde n’est pas encore pour demain »
TITE-LIVE (59 avant JC - 17 après JC) – Historien romain et toujours en vie
La phrase avait paru un peu ridicule à l'époque tant elle venait à contretemps. Le 20 janvier 2008, encore dans sa campagne de 2007 et déjà dans celle de novembre pour le poste de 1er secrétaire du PS, Ségolène Royal se lâche sur les premières difficultés du gouvernement : « Sarkozy est installé dans une ambiance de fin de règne ». Il faut dire qu'elle s'y connait, elle qui fut pour la première fois ministre en 1992, en pleine fin de règne de François Mitterrand.
Le pouvoir connait en France le syndrome de la fin de règne quand il commence à se lasser et à lasser le peuple. L'Elysée devient un enfer d'ennui et le président fait de la figuration. Le peuple, voyant bien que le pouvoir vacille, aspire à du changement car il ne supporte pas de ne plus avoir de maître à qui se soumettre. Voilà donc le renouvellement du pouvoir avec ses cérémonies de passation, et les fins de règne se succèdent tels des hivers après les printemps.
Nicolas Sarkozy est en train de connaitre sa fin de règne. Certes elle n’avait pas commencé en 2008, mais quand même bien vite après. Pas tellement à cause de la crise, mais à cause d'effets d'annonce avortés, de reculades incontrôlées, de marches arrières notoires.
Où est passée la politique de civilisation, concept jeté au hasard lors des vœux de 2008 ? Que fit le président qui fait tout quand éclatât la révolte en Tunisie ? Qu'est devenue la réforme de la dépendance, grande affaire du quinquennat, sinon une retraite en rase campagne devant les impératifs de la rigueur ? A quoi a servi le débat sur l'identité nationale, sinon à diviser les français ? Qu'en est-il de la démocratie irréprochable, alors que se multiplient les affaires ?
En un mot, comment Nicolas Sarkozy, pourtant fin politique, n'a-t-il pas vu que toutes ces fausses notes et ces couacs pouvaient lui nuire et décevoir tous ceux qui avaient cru en lui ? Mais pour cela, il aurait fallu que quelqu'un lui résiste pour le sauver de lui-même. Or l'Elysée est une tour d'ivoire où l'on croit concentrer tout le pouvoir alors que l'envie de le garder vous l'enlève, obligé que vous êtes de suivre les courants de l'opinion pour mieux la satisfaire.
Personne dans l'entourage du président ne l’a initié aux vertus de la modestie, malgré des résultats économiques et un désamour des français qui ne poussaient pas à la fanfaronnade. Sans tambours ni trompettes, le pouvoir doit être discret et efficace, tel « l'Etat modeste » promis en 1995 par Jacques Chirac et jamais vraiment appliqué ou plus sûrement ces rassurants personnages qui jalonnent notre histoire, Antoine Pinay et autres Gaston Doumergue.
Car l'opposition est souvent moins discrète pour dénoncer les excès d'autoritarisme. En 1964, François Mitterrand publiait « Le coup d'Etat permanent » pour accuser la concentration du pouvoir par De Gaulle au détriment des partis. En 2008, François Bayrou sortait « Abus de pouvoir » pour se plaindre de la collusion entre le pouvoir sarkozyste et le pouvoir médiatique, sans pour autant tomber dans la caricature du fascisme hitlérien de l’anti-sarkozysme primaire.
On ne s'appuie que sur ce qui nous résiste. Une bonne opposition permet de mieux affirmer ses positions, la démocratie étant faite de pouvoirs et de contre-pouvoirs. Or le pouvoir ne supporte pas de passer son tour. En 1962, Gaston Monnerville accusait De Gaulle de « forfaiture » pour avoir osé faire basculer le pouvoir du parlement vers le gouvernement. En 2011, François Baroin accusait la gauche d'être revenue au pouvoir « par effraction » en 1997.
Les passations de pouvoirs sont parfois difficiles, mais bien moins que les fins de règne. Et le pouvoir s’use quand on ne s’en sert pas. Plus dure sera la chute.