« Faire comprendre des choses complexes
à des gens simples frise l'abus de confiance »
Philippe BOUVARD (1929) – Humoriste français et mauvais pédagogue
Un bon homme politique a toujours du savoir-faire mais surtout il sait le faire savoir. Il exerce avec talent son pouvoir et s'assure que tout le monde le pense. Nombreux sont les élus qui jouent tout sur la forme et peu sur le fond, même si les exemples inverses abondent. On pense à Michel Rocard, dont on ne comprenait pas le langage proustien parce qu'il oubliait que le peuple ne le parlait pas. Être ou paraître, telle est la question.
Les hommes politiques ont pris conscience de l’importance de l'image en grande partie grâce aux élections présidentielles. Dès 1965, Jean Lecanuet copie les techniques publicitaires américaines et affiche son large sourire à la télévision, d'où le sobriquet de De Gaulle « dents blanches ». En 1981, François Mitterrand renforce le couple entre communication et politique en s’offrant les services de Jacques Séguéla, fils de pub et boite à slogans, dont le fameux « La force tranquille ».
Depuis, plus aucun candidat sérieux à la magistrature suprême ne s'en passe. Or le message politique n'a jamais été aussi inefficace. La confiance dans les deux grands partis de gouvernement baisse d’élection en élection et les français se détournent de plus en plus de la politique, peut-être dégoutés par la tournure qu'elle prend lorsqu'elle ressemble plus à une poubelle qu’à une agora athénienne. Les scandales et autres boules puantes comme l’affaire Bettencourt ou l’affaire Guérini ont pu détourner des débats les moins acharnés.
Pour gagner il faut souvent que le rival perde. D’où la tentation de le laisser s’empêtrer dans ces scandales. On se souvient des campagnes de 1995 et 2002 où Jacques Chirac était à chaque fois inondé d’affaires qui étrangement ne sortaient jamais avant. Il aurait été tout à l’honneur de ses adversaires de ne pas rentrer dans des tactiques de politique de caniveau, tel De Gaulle en 1965 qui refusait d’utiliser la célèbre photo de Mitterrand avec Pétain pour ne pas salir la fonction au cas où il serait élu.
Pour gagner il faut aussi savoir ne pas perdre. Ne pas prendre de risques. Le discours politique a donc pris le pli de la langue de bois. Plutôt que de faire peur, autant masquer les réalités et parler pour ne rien dire. La démagogie plutôt que la pédagogie, le français est devenu une langue morte. D’où la généralisation du politiquement correct et du désintérêt pour la politique dans les années 1990 qui explique en partie le cataclysme de 2002. A force de ne plus prendre les électeurs pour des adultes, on finit par en subir les caprices.
La technique à la mode pour leur parler aujourd’hui est celle des éléments de langage. Toutes les personnalités d'un même parti doivent répéter un même sacro-saint script censé exprimer un seul point de vue cohérent. Car seules les contradictions attirent l'attention et les médias aiment s'en amuser. Problème : à être trop formaté, le discours devient redondant car tous disent la même chose et répètent les éléments de langage. D’où des situations ridicules.
On comprend dès lors que la confiance dans la démocratie et dans la classe politique se soit à ce point réduite. Le problème n’est pas de faire davantage participer le citoyen, il a aussi une vie. C’est juste de savoir lui parler et de lui transmettre quelque chose de concret. Assumer ses choix et les défendre. Ordonner ses interventions et dire des choses différentes mais complémentaires. Reconnaitre ses défauts et accepter la critique.
Personne n’est parfait, il y en a même qui se construisent une mauvaise image comme Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon pour mieux séduire les électeurs. La transmission de sens est à ce prix. Ce n'est plus une question de vases communicants où on se contente de répéter toujours la même chose. C'est une question de courage et de démocratie.