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25 février 2012 6 25 /02 /février /2012 10:20

« Faire comprendre des choses complexes

à des gens simples frise l'abus de confiance »

 

Philippe BOUVARD (1929) – Humoriste français et mauvais pédagogue

 

 

Un bon homme politique a toujours du savoir-faire mais surtout il sait le faire savoir. Il exerce avec talent son pouvoir et s'assure que tout le monde le pense. Nombreux sont les élus qui jouent tout sur la forme et peu sur le fond, même si les exemples inverses abondent. On pense à Michel Rocard, dont on ne comprenait pas le langage proustien parce qu'il oubliait que le peuple ne le parlait pas. Être ou paraître, telle est la question.

 

Les hommes politiques ont pris conscience de l’importance de l'image en grande partie grâce aux élections présidentielles. Dès 1965, Jean Lecanuet copie les techniques publicitaires américaines et affiche son large sourire à la télévision, d'où le sobriquet de De Gaulle « dents blanches ». En 1981, François Mitterrand renforce le couple entre communication et politique en s’offrant les services de Jacques Séguéla, fils de pub et boite à slogans, dont le fameux « La force tranquille ».

 

Depuis, plus aucun candidat sérieux à la magistrature suprême ne s'en passe. Or le message politique n'a jamais été aussi inefficace. La confiance dans les deux grands partis de gouvernement baisse d’élection en élection et les français se détournent de plus en plus de la politique, peut-être dégoutés par la tournure qu'elle prend lorsqu'elle ressemble plus à une poubelle qu’à une agora athénienne. Les scandales et autres boules puantes comme l’affaire Bettencourt ou l’affaire Guérini ont pu détourner des débats les moins acharnés.

 

Pour gagner il faut souvent que le rival perde. D’où la tentation de le laisser s’empêtrer dans ces scandales. On se souvient des campagnes de 1995 et 2002 où Jacques Chirac était à chaque fois inondé d’affaires qui étrangement ne sortaient jamais avant. Il aurait été tout à l’honneur de ses adversaires de ne pas rentrer dans des tactiques de politique de caniveau, tel De Gaulle en 1965 qui refusait d’utiliser la célèbre photo de Mitterrand avec Pétain pour ne pas salir la fonction au cas où il serait élu.

 

Pour gagner il faut aussi savoir ne pas perdre. Ne pas prendre de risques. Le discours politique a donc pris le pli de la langue de bois. Plutôt que de faire peur, autant masquer les réalités et parler pour ne rien dire. La démagogie plutôt que la pédagogie, le français est devenu une langue morte. D’où la généralisation du politiquement correct et du désintérêt pour la politique dans les années 1990 qui explique en partie le cataclysme de 2002. A force de ne plus prendre les électeurs pour des adultes, on finit par en subir les caprices.

 

La technique à la mode pour leur parler aujourd’hui est celle des éléments de langage. Toutes les personnalités d'un même parti doivent répéter un même sacro-saint script censé exprimer un seul point de vue cohérent. Car seules les contradictions attirent l'attention et les médias aiment s'en amuser. Problème : à être trop formaté, le discours devient redondant car tous disent la même chose et répètent les éléments de langage. D’où des situations ridicules.

 

On comprend dès lors que la confiance dans la démocratie et dans la classe politique se soit à ce point réduite. Le problème n’est pas de faire davantage participer le citoyen, il a aussi une vie. C’est juste de savoir lui parler et de lui transmettre quelque chose de concret. Assumer ses choix et les défendre. Ordonner ses interventions et dire des choses différentes mais complémentaires. Reconnaitre ses défauts et accepter la critique.

 

Personne n’est parfait, il y en a même qui se construisent une mauvaise image comme Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon pour mieux séduire les électeurs. La transmission de sens est à ce prix. Ce n'est plus une question de vases communicants où on se contente de répéter toujours la même chose. C'est une question de courage et de démocratie.

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22 février 2012 3 22 /02 /février /2012 16:51

« Pour bien communiquer, ne cherchez pas à faire de belles phrases »

 

Jacques SEGUELA (1934) – Publicitaire français et partisan de la concision

  

 

Ce sont des petites phrases qui font grand bruit : le Durafour crématoire, le Madoff de la politique, le capitaine de pédalo... Drôles ou cruelles, ces expressions issues de l'imagination féconde de nos hommes politiques ont fini par entrer dans le vocabulaire courant, après avoir garanti un bon quart d’heure de gloire à leurs auteurs. La parole est d'argent et le temps aussi.

 

Tant pis alors si le silence est d'or. Nos hommes politiques ont bien compris qu'avec l'accélération du temps des médias, il fallait attirer l'attention du téléspectateur. Pour cela, rien de tel qu’une phrase assassine assenée à l’adversaire ou un bon mot qui amuse la galerie. Les journalistes boivent du petit lait et se font un plaisir de les reprendre pour combler les trous.

 

On connait leur cuisine interne : les politiques donnent les ingrédients (phrases en off, événements téléphonés, déplacements réchauffés) et les journalistes font monter la sauce. Les petits candidats ont ainsi parfois droit au dessert s'ils sortent le bon mot qui se transforme en soufflet. Qu'importe la qualité du débat, on ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs.

 

Or les petites phrases ont toujours existé. Les grands hommes avaient beau faire des discours kilométriques, l'histoire n'a retenu d’eux que des petites phrases, ces citations que l'on s'approprie sans droits d'auteurs pour briller en soirée. De Jules César on a retenu « Veni, Vidi, Vici », de Louis XIV on retient « L’Etat c’est moi », et de De Gaulle on retiendra « Je vous ai compris ». La mémoire est sélective et ne retient que des bribes isolées, pas la structure globale.

 

C'est la même chose avec les débats présidentiels d’entre-deux-tours. De celui de 1974, on ne se souvient que du « Vous n'avez pas le monopole du cœur » de Valéry Giscard d’Estaing. Et de la revanche de 1981, que de « l’homme du passif » de Mitterrand. D’où un certain étonnement devant la raréfaction de ces belles phrases à l’ère de la petite phrase.

 

Où chacun a sa spécialité. Il y a les agressifs comme Jean-Luc Mélenchon qui usent des assauts directs sur l'adversaire et de la disqualification, vieille méthode des rhéteurs trotskistes. Il y a les comiques comme François Hollande qui dès qu’ils montent sur une scène se croient obligés de faire le pitre et le tour de petites blagues pour mettre les rieurs de leur côté. Et il y a les pédagogues comme Jean-Pierre Raffarin et ses raffarinades qui abusent des aphorismes.

 

Mais il serait trop facile de seulement accuser les hommes politiques qui au lieu de réfléchir aux solutions à apporter le font pour sortir la meilleure petite phrase. Les journalistes sont aussi responsables avec leur goût pour la polémique. Le succès d'une émission comme « Le Petit Journal », royaume de la petite phrase et empire du détournement d'image, montre à quel point notre rapport à la politique est devenu superficiel. Il faut bien vendre la camelote.

 

D'où le développement des rubriques sur les coulisses de la vie politique. Car le citoyen consommateur d’information et gouverné passif a lui aussi sa part de responsabilité. A force de prendre la politique pour un jeu de petits chevaux et une partie de scrabble, il a fini par convaincre les hommes politiques qu’ils devaient raccourcir leurs phrases pour mieux se faire entendre, à défaut d’être mieux écoutés. Petites phrases, petits hommes.  

 

Or la politique est bien plus attrayante avec des petites phrases qu’avec des propositions complexes. Et comme il est toujours plus rassurant de se dire que les hommes politiques ne pensent pas aux citoyens et ne pensent pas ce qu’ils disent, chaque petite phrase nous conforte dans notre fainéantise intellectuelle. Un jeu bien dangereux.

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13 février 2012 1 13 /02 /février /2012 09:13

« Words, words, words »

 

William SHAKESPEARE (1564-1616) - Dramaturge anglais et en anglais dans le texte

 

 

Plus qu’une autre élection présidentielle, celle-ci sera dominée par l'économie. La crise étant passée par-là, les conversations se sont subitement centrées sur des sujets qui jusqu'alors n'intéressaient que les initiés, comme la dette publique, le modèle de croissance, ou la fiscalité. Avant l'économie ne passionnait que quand elle touchait le porte-monnaie et le pouvoir d'achat. Et les hommes politiques parlent toujours mieux à l'estomac qu'à l'intelligence des électeurs.

 

Certes l'économie, matière peu glamour, ne fait pas plus recette dans les autres pays. Les français n’y sont pas bons mais les sujets trop techniques n’inspirent jamais les étudiants. Mais comme cette année on va beaucoup en parler, parlons-en un peu. Nicolas Sarkozy a déjà avancé sa TVA sociale et François Hollande ses augmentations d’impôts. François Bayrou nous promet la sueur de la rigueur et Marine Le Pen ne versera pas de larme si on abandonne l'euro.

 

Mais l'économie, ce sont surtout des chiffres, n'en déplaise aux nuls en maths. 85,3% de dette, 9,8% de chômage, 0,5% de croissance. On a demandé à Jean-Luc Mélenchon d’avancer les siens, lui qui a surpris tout le monde avec son SMIC à 1700 euros censé résoudre tous ces problèmes à la fois. Même chose avec Nicolas Sarkozy et sa TVA sociale, belle usine à gaz censée permettre la réindustrialisation de la France. Dans les deux cas, on n’a pas tout compris.

 

Rassurez-vous, l'économie en 2012 sera aussi une affaire de mots. Il y a les habituelles circonlocutions faites pour nous entuber : on nous parle d'investissement au lieu de dépense, de ralentissement au lieu de récession, d’assainissement au lieu de rigueur. La rigueur, ce vilain mot et ce mauvais souvenir du tournant de la gauche en 1983. Personne ne veut en être accusé, ni même la droite (avec 5,5% de déficit elle ne risque pas), d'où des joutes verbales à en pleurer.

 

Il y a aussi des expressions que les candidats voudront imposer. Quand Nicolas Sarkozy parle de règle d'or - que l'on devrait plutôt appeler règle de plomb tant elle astreint l'Etat à la rigueur à perpétuité et à la rigidité de ceux qui ne peuvent plus vivre à crédit - c'est pour mieux disqualifier la gauche qui n'en veut pas. La gauche fera de même avec sa novlangue oxymoresque et sa « justice sociale », sa « croissance verte » et autre « économie solidaire ».

 

Mais les mots, s'ils ont leur sens, n'y feront rien. Depuis que la France a perdu son triple A, on sait déjà que l’on devra payer la note. Malgré les belles paroles, chacun est conscient des temps difficiles qui viennent et que Didier Migaud, cape en peau d'hermine et tête de croque-mort, a annoncé dans son dernier rapport de la cour des comptes. Et c'est alors que nous reviennent en mémoire des discours d'outre-tombe des dernières campagnes présidentielles.

 

Dans le genre comique, Nicolas Sarkozy en 2007 : « Je veux que chaque ménage puisse emprunter pour devenir propriétaire ». Ou en comique de répétition : « Je serai le président du pouvoir d'achat ». Dans le genre répétitif, Jacques Chirac en 1995 : « Il faut redresser la France ». Ou François Hollande en 2012 : « Je connais la gravité de l’heure que nous vivons ». Et dans le genre prophétique, Raymond Barre en 1988 : « Il faut que la France se désendette ».

 

Le résultat est connu même si tout le monde s’accorde à le nier : la France est en déclin. Cinquième puissance du monde, elle se fait dépasser par des pays émergents comme l'Inde ou le Brésil. Mais le plus grave, c'est le déclin de son niveau de vie et son incapacité chronique à résoudre ses problèmes. Or au fond, on en connait le fond, que les mots ne sauraient cacher et que les chiffres nous dévoilent : on n'a plus d'argent. Et on n'a même plus d'idées.

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