L'ANGLETERRE ENTRE DEUX EAUX

« L’Angleterre a des habitudes très marquées, très originales »

Charles DE GAULLE (1890-1970) – Ancien président et anglophobe assumé

Tout semble aller au mieux pour nos amis anglais. La couronne a fêté en grande pompe le mariage du prince William et de Kate Middleton et le jubilé de la reine Elizabeth II. Londres a accueilli sans trop de mauvais temps les Jeux olympiques. L’arrivée de François Hollande au pouvoir ravit David Cameron qui déroule le tapis rouge aux investisseurs surchargés de taxes à 75%. Et pourtant, le pays est dans une situation incertaine et vogue en eaux troubles. That’s it.

Son système économique est en crise. La faillite financière a ébranlé la City qui jusque-là assurait une part sûrement excessive de la richesse nationale. Son modèle social est contesté. Les étudiants occupent la rue pour dénoncer le coût de l’université et les syndicats décrètent la grève générale pour la première fois depuis 1926. Sa position politique tangue. La crise de la zone euro continue or elle se demande si elle ne devrait pas abandonner la livre et s’impliquer davantage dans l’Union européenne au lieu de rester en retrait sur son île. Business is business.

L’Angleterre est entre deux eaux. Elle a toujours été eurosceptique car elle est insulaire. Le Channel est une barrière qui lui fait souvent se replier sur elle-même, comme au temps du splendide isolement. Le Général De Gaulle se méfiait de la perfide Albion et a toujours refusé qu’elle entre dans l’Europe. Elle a toujours été atlantiste car elle aime l’océan. Les Etats-Unis sont sa boussole et elle regarde constamment vers the open sea même si son ancienne colonie lui a joué des tours. Winston Churchill répandait la thèse du cheval de Troie en disant qu’entre le continent et le grand large, l’Angleterre regarderait toujours le grand large. This is England.

Celui qui croit que la méfiance de l’Angleterre envers l’Europe n’est qu’une histoire de géographie n’a rien compris aux relations ambiguës qu’entretiennent ces deux zones. L’Irlande est aussi insulaire or elle se sent bien plus européenne. L’héritage de l’histoire compte lui aussi. L’Angleterre a toujours été envahie par les assaillants européens, des romains aux normands en passant par la Grande armée de Napoléon et la Luftwaffe d’Hitler. Elle n’a donc jamais noué d’amitié cordiale avec les puissances du continent et devait pour développer son chétif territoire devenir une puissance maritime. Elle a donc conquis le monde entier, devenant l’empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais alors que l’eau de la Tamise ne coulait même plus. Yes Sir.

Elle a torpillé les rêves de grandeur de la France en devenant une si grande puissance industrielle au XVIIIème siècle. Elle a basé son développement économique sur la technologie et serait encore la première puissance du monde si elle n’avait pas aidé ses turbulents voisins européens à la guerre. Elle a rompu avec sa politique d’équilibre des pouvoirs du XIXème siècle quand elle veillait à ce qu’aucune puissance ne domine tout le continent européen, selon des vieilles théories de géopolitique. La création de l’Union européenne en est la preuve. Thanks.

L’Angleterre est le pays du pragmatisme. Il ne navigue jamais à vue mais veille toujours à prendre la bonne vague pour ne pas boire la tasse. Il alterne Benjamin Disraeli et William Gladstone pour avoir les bons et les mauvais côtés du Whig et du Tory. Il négocie son déclin avec Winston Churchill et Harold Macmillan en se mettant dans la poche le nouveau boss des affaires diplomatiques. Il a accepté sans drame le tournant néolibéral de la désindustrialisation avec Margaret Thatcher et Tony Blair pour être la puissance financière qu’on sait. Of course.

L’Angleterre est une terre qui invente. On lui doit tous les modèles de la politique sous toutes les latitudes et longitudes. Elle a imaginé la démocratie parlementaire avec sa monarchie constitutionnelle façonnée par la coutume. Elle a inventé le Royaume-Uni et le Commonwealth pour montrer que les déclarations d’indépendance et la décolonisation pouvaient se gérer sans violence. Elle a institué ce bipartisme parfait avec les conservateurs et les travaillistes qui fait l’admiration de toutes les nations même si son mode de scrutin l’est moins en autorisant qu’une formation l’emporte sans avoir la majorité des voix. Les électeurs acceptent la règle. Shocking.

Messieurs les anglais, vous pouvez être fiers de votre pays. En pleine crise financière, c’était encore Gordon Brown qui proposait le rachat des titres pourris aux banques et la relance par l’injection de liquidités. On se demande pourquoi les riches Lords achètent des châteaux en Dordogne et font monter le prix de notre immobilier. Chacun chez soi et les vaches seront bien gardées. A moins que ce soit à cause des scandales de corruption des députés, qui montrent que la décadence n’est pas qu’un mal français. Rien d’étonnant, dans un pays qui se désaltère au thé et se désinfecte à la bière. Let it be, Mrs Robinson.