« Quand j’étais petit, on m’a dit que n’importe qui
pouvait devenir président. Je commence à le croire »
Clarence DARROW (1857-1938) – Avocat américain et qui raconte des salades
Nous sommes en 2007. Nicolas Sarkozy est président de la république et superstar de la politique. Tous les grands leaders de la gauche sont au tapis à commencer par DSK, battu dès la primaire par Ségolène Royal en 2006. Alors qu’il coule des jours tranquilles dans son Riyad de Marrakech, son vieil ami l’inamovible président de l’Eurogroupe Jean-Claude Juncker lui annonce que le poste de directeur général du FMI se libère et qu’il est pour lui. Les jours suivants, Nicolas Sarkozy fait une campagne active en faveur du socialiste qui est facilement élu à la tête de l’institution new-yorkaise. Sans se douter qu’il le remettait là dans le jeu pour 2012.
L’ancien président - qui espère aussi revenir dans le jeu grâce à une faveur de ses rivaux - est habitué. Il a replacé Dominique de Villepin sur le devant de la scène en l’attaquant dans le procès Clearstream. Il a remis Jean-François Copé en selle en l’excluant du gouvernement pour ensuite mieux le nommer secrétaire général de l’UMP. Il a ramené Alain Juppé dans le jeu, qui en 2007 n’avait plus aucun mandat national et qui a fini le quinquennat n°2 du gouvernement.
Il a brillé alors qu’on croyait qu’il avait sombré. D’abord nommé ministre de la défense en 2010 surtout pour s’occuper des anciens combattants et cela tombait plutôt mal vu son âge, il est devenu ministre des affaires étrangères en 2011 en remplacement de l’imprudente Michèle Alliot-Marie après avoir déjà réussi au quai d’Orsay dans une autre vie. A la surprise générale, il a incarné mieux que quiconque le volontarisme sarkozien en Libye et sur la Syrie. Les deux ex meilleurs ennemis se sont rapprochés et on a cru que l’un serait candidat à la place de l’autre.
Cela aurait pu être envisagé. Nicolas Sarkozy incarnait la droite libérale orléaniste alors qu’Alain Juppé incarnait la droite gaullienne bonapartiste. Il pouvait se différencier comme le vieux sage qui prend le relais du jeune fou. Nicolas Sarkozy voyait l’échec s’avancer et sa femme l’encourageait à ne faire qu’un mandat. Il aurait pu le convaincre de se rallier à lui et à l’union de toutes les familles de la droite. Martine Aubry aurait pu être son adversaire et elle avait à son passif la loi antisociale des 35 heures. Par contraste, il aurait gagné facilement.
Au final il n’a pas osé se présenter et a même prouvé durant son débat passable contre François Hollande qu’il ne serait sûrement pas passé. Il a montré des signes de velléités d’envie de se présenter à la présidence de l’UMP. Tout le monde sait qu’il ne le fera pas car le passage est bouché par le duo Fillon-Copé. Son intérêt est ailleurs : il ne doit pas cultiver le conflit mais faire le consensus autour de lui en vue d’une opportunité future. Il ne faut pas insulter l’avenir.
On lui a déjà trouvé un point de chute : l’Europe. Ce serait un sommet pour cet homme d’Etat qui n’a jamais été chef de l’Etat mais qui mériterait de laisser une trace dans l’histoire. L’Europe est à un tournant de la sienne et doit survivre à une crise qui l’a cruellement affaiblie. Il faut un grand homme et l’actuel président du conseil européen, l’affable belge Herman Von Rompuy, n’a pas le profil. C’était le président fantoche idéal pour ne pas gêner le Merkozy show. Alain Juppé ne sera jamais président de la république. Il peut être président de l’Europe.
A 67 ans, il peut être ce vieillard héroïque choisi par le destin pour sauver le peuple en péril du déclin. Il a suffisamment de convictions européennes pour reconnaitre les mérites de Daniel Cohn-Bendit. Il est suffisamment consensuel et compétent pour faire l’unanimité autour de lui. Il a même déjà été pressenti pour devenir président de la commission européenne à la place de José Manuel Barroso, mais il avait encore des choses à faire en France. Après avoir mené la diplomatie française, il pourrait mener la diplomatie européenne face au monde.
Il suivrait cette tradition d’hommes politiques qui ont fait l’Europe sans faire la France : Jean Monnet, Robert Schuman, Jacques Delors. Il prendrait place aux côtés de ces glorieux noms de l’histoire européenne : Konrad Adenauer, Paul-Henri Spaak, Altiero Spinelli. Surtout il serait capable de mener l’Europe vers son avenir, qui sera certainement plus fédéral après la crise même si cela ira par étapes. Il devra accélérer le rêve européen qui a trop stagné depuis la chute du mur de Berlin et le traité de Maastricht. Et peut-être qu’il réussira à se faire élire par les citoyens européens, dans la pure tradition gaullienne. Ce sera le président de l’Europe.