« La parole appartient à moitié à celui qui la donne et à moitié à celui qui la reçoit »
Michel de MONTAIGNE (1533-1592) – Ecrivain français et très à l’écoute
Il n’y a pas de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. On reproche souvent aux hommes politiques de trop privilégier les attaques personnelles sur le dialogue constructif et la polémique gratuite sur le débat de fond. Mais en campagne, discuter avec l’adversaire c’est déjà s’avouer vaincu. Car on n’est détruit que par une force extérieure ou une faiblesse intérieure.
Le monde serait pourtant si beau si on s’écoutait les uns les autres. C’est l’idéal de la démocratie participative, où chacun argumente son point de vue et se laisse convaincre par celui des autres. Belle utopie en réalité. Il faut savoir raison garder : lorsqu’on croit avoir raison, c’est qu’il y a une raison. On s’accroche à ses opinions et on refuse de céder devant les autres. Alors imaginez pour un homme politique, dont le métier est de tout savoir et de tout prévoir…
La première partie de la campagne a été dominée par un dialogue de sourds entre deux favoris à la langue bien pendue. Nicolas Sarkozy et François Hollande ont en effet joué au jeu des messages complémentaires et des meetings interposés. C’était à la fois du ping pong et du téléphone arabe : l’un parle, l’autre écoute ; l’un accuse, l’autre récuse. Mais toujours en reformulant à sa manière ce qu’a dit l’autre, d’où des grands moments de mauvaise foi.
Comme quand Nicolas Sarkozy utilise une coupure de presse anglaizzze pour traiter François Hollande de gros menteur, alors que comme tout politicien français qui se respecte, il n’est qu’un social-libéral qui s’arrange de temps en temps avec la vérité. « Soyez libéraux, soyez socialistes, mais ne soyez pas menteurs », disait Milton Friedman. Ou soyez les trois à la fois.
Les deux hommes s’épient, comme lors de ce meeting de Rouen surréaliste où François Hollande a improvisé en temps réel son discours à mesure que Nicolas Sarkozy se déclarait candidat sur TF1. Ils jouent par séquences intercalées : l’un fait l’actu et a son « bon moment », puis c’est l’autre. Un coup le président surfe sur la TVA sociale, un autre le socialiste plane sur la taxation des riches. Le SarkHollande fait son chaud, mais les médias sont complices.
Ils donnent l’impression de beaucoup s’écouter. Ils savent que cette campagne se joue entre eux et que le gagnant de leur duel remportera la mise de ce poker menteur. C’est pourquoi chacun dit l’inverse, fait le contraire et défend l’opposé de l’autre pour mieux s’en démarquer et le démasquer. Sans se renier, car il n’y a qu’au tarot qu’on s’excuse.
On a déjà eu traces de tels duels à couteaux tirés, même si certains furent plus tirés par les cheveux. Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand en 1981 dans un combat inégal où David le candidat battait Goliath le président. François Mitterrand et Jacques Chirac en 1988 où la haine entre le vieux lion et le jeune loup n’eut d’égal que le grand écart du résultat final.
Lionel Jospin et Jacques Chirac en 2002 où les deux jouaient dans la cour des grands - président et 1er ministre - et au chassé-croisé dans les sondages. Jusqu’à ce que l’un sorte du jeu. Il avait fait l’erreur de s’excuser et d’en reconnaitre une, celle d’avoir traité l’adversaire de vieux débris usé et fatigué, quand ce dernier ne s’était pas privé de le faire quatorze ans plus tôt.
En 2007 il n’y avait pas vraiment eu dialogue mais deux monologues intermédiés par les médias. Les deux candidats étaient trop différents : Nicolas Sarkozy était un homme, Ségolène Royal une femme ; lui était favori, elle était là pour décorer. En 2012 il y a match et la survie est en jeu. D’où les attaques perfides mais habiles du président pour faire craquer le favori socialiste et le rendre agressif. Lui ne plonge pas, car il n’aime pas le pugilat. Jusqu’à quand ?
En 2017 il faudra ajouter deux apports à ce dialogue de sourds. Ecouter l’autre et ne plus seulement l’entendre. Anticiper ce qu’il va dire, car le meilleur moyen de suivre quelqu’un c’est de le précéder. La politique et la polémique par anticipation, on n’arrête pas le progrès.