« Le gouvernement populaire n'existe pas. Gouverner c'est mécontenter »
Anatole FRANCE (1844-1924) – Écrivain français et critique téméraire
La campagne fait rage et les candidats donnent la bonne parole. Promis, le lendemain ne ressemblera pas à la veille et le nouveau gouvernement fera cette fois les choses à l'endroit pour de vrai. C'est pourquoi les candidats les plus responsables et les prétendants les plus prétentieux promettent qu'une fois président ils gouverneront pour l'intérêt général et le destin de la France. On pense à François Bayrou, postulant de postures, prompt à fustiger la vue basse du président sortant et à vanter sa capacité à agir de manière posée. Et pour cause, il n'a encore rien fait.
Chaque élection présidentielle remet à l'ordre du jour et au goût du jour la mythologie de l'homme d'État, doté d'une vision à long terme de l'avenir du pays et qui demande au peuple de le suivre plutôt qu'il ne le suit. En 1981 Valéry Giscard d'Estaing prévenait les français contre la politique de l'illusion des socialistes. En 1988 Raymond Barre incarnait cette tiédeur aussi efficace pour rassembler qu'inutile pour gagner. Car le bon sens et la bonne gestion, même louables, ne font pas gagner des élections. Il faut un supplément d'âme, et un peu de vice.
Surtout, la vision de l'homme d'État fait peu recette car tout le monde sait que ce n'est qu'un mythe. Personne n'est dupe : les hommes politiques qui nous gouvernent font ce métier pour gagner des élections plus que pour changer la réalité, recueillir des louanges plus que pour faire du bon travail, conquérir le pouvoir plus que pour l'exercer. L'ambiance grisante des campagnes suffit à leur bonheur de narcisses nombrilistes, et ils préfèrent de loin être admirés pour ce qu'ils sont que pour ce qu'ils font. Alors pour la réforme gouvernementale et la haute politique, on peut oublier.
C'est pourquoi à défaut de savoir-faire ils compensent par le faire-savoir. Ils ne font rien mais ils s'y mettent, et c'est ce qu'ils font de mieux. Ils se targuent d'être courageux et de prendre des décisions impopulaires or ils n'arrêtent pas de prendre des pincettes. A l'image de Nicolas Sarkozy, qui prône l'austérité sans la rigueur, de gagner plus sans travailler plus, ou de redessiner la carte des collectivités territoriales sans faire de morts. Il est davantage dans l'apparence que dans la substance et a bien compris que dire c'est faire. Annoncer un projet, c'est montrer qu'on s'occupe des problèmes et qu'on les a déjà réglés, alors que c'est seulement mieux repousser au lendemain ce que l'on ne peut pas faire le jour-même.
Les hommes qui nous dirigent prétendent mener le peuple à la baguette or ils ont peur de ses retours de bâton. Le François Mitterrand triomphant de 1981 est mort dans la rue en 1984 lors des grèves contre le projet de loi Savary. Le Jacques Chirac gagnant de 1995 est devenu un loser dès l'automne avec les manifestations contre la réforme des régimes spéciaux de retraite. Alors les hommes politiques se méfient du peuple comme ne l'eau qui dort et ne veulent pas se mouiller ni faire de vague. Ils trempent à peine les pieds dans les sujets qui fâchent et ne les mettent jamais dans le plat. Ils pratiquent la politique du doigt mouillé qui génère tant d'incompréhension chez ces français dont ils voudraient tant être compris.
Ils fléchissent et réagissent plus qu'ils ne réfléchissent et agissent. Ils se lancent des fleurs, font s'apitoyer les pleureuses sur leur sacerdoce et se disent les premiers serviteurs de l'État. Mais ils gouvernent mal et pour leur intérêt particulier quand ce n'est pas dans le désintérêt le plus complet de leur fonction. A force de vouloir ménager les français, ils ont perdu l'ambition de gouverner un peu mieux. Au lieu de débattre, décider et dire la même chose, de reconnaître leurs erreurs, les réparer et ne plus les refaire, ils cherchent à sauver les apparences et ont perdu de vue la réalité de la France.
Au final, leur peur de mal faire les fait davantage agir sur les effets que sur les causes des maux. La gauche plurielle de Lionel Jospin s'attaque au chômage en partageant le travail au lieu d'en créer plus. La gauche singulière de Jean-Luc Mélenchon combat les bas salaires en les augmentant au lieu de relever le pouvoir d'achat en baissant les prix. La droite extrême de Marine Le Pen soigne la crise de l'euro en supprimant la monnaie unique au lieu d'en faire une devise forte.
« La France peut supporter la vérité », disait Pierre Mendès France. Même si on peut en douter, notre classe politique comprend les problèmes et connait les solutions, même quand il n'y en a pas. Il ne lui manque que le courage de les mettre en œuvre. De l'audace, encore de l'audace. On l'attend pour demain, dès le 7 mai après les élections, mais on a déjà été déçu plusieurs fois par le passé. Les réformes qui s'imposent sont toujours remises à plus tard, et on prend des voies détournées et des chemins de traverse. Que nos hommes politiques se servent de l'Union européenne comme prétexte pour faire passer leurs projets, mais qu'ils soient architectes du long terme au lieu de noyer le poisson. Car si la fin excuse, le moyen accuse.