« Il ne sert à rien de franchir le Rubicon si c’est pour y pêcher à la ligne »
André MALRAUX (1901-1976) – Ecrivain français et les pieds sur terre
Le 1er tour de chauffe est terminé et avec lui la torpeur des derniers jours où la rigidité du règlement a failli tuer ce qui restait de campagne. Les petits candidats quittent la piste et les postes de télévision. Philippe Poutou (1,15%) et Nathalie Arthaud (0,56%) ont fait de la figuration et appelé main dans la main à « dégager Sarkozy ». Jacques Cheminade (0,25%) a fait pire qu’en 1995 (0,28%) et Nicolas Dupont-Aignan (1,79%) a fait mieux car son orgueil cocardier a plu aux électeurs.
Le temps du 2ème tour est venu. C’est la croisée des chemins, là où tout se joue. Finie la peur de jouer le 2ème tour avant le 1er. L’un sert à éliminer et l’autre à choisir - à moins que ce ne soit l’inverse - mais désormais il faut rassembler au-delà du camp que l’on a voulu rassembler. D’où les tractations secrètes et opaques d’entre-deux-tours entre états-majors de partis. Chacun jurera ne pas faire de politique politicienne électoraliste et ne pas être propriétaire de ses voix. Mais ce qui est bon à prendre est bon à garder : les deux finalistes veulent des alliés et des ralliés, même s’ils savent que le tout vaut plus que la somme des partis.
Premier arrivé et premier servi, François Hollande (28,63%) avait proposé aux français de participer largement dès le 1er tour pour lui donner de l’avance en vue du 2ème. Ces derniers ont disposé en lui donnant le deuxième score le plus élevé pour un candidat de gauche au 1er tour après François Mitterrand en 1988. Leur confiance « lui donne la force » et « le met en responsabilité ». Elle « l’honore et l’oblige à leur donner toute leur place ». Et patati et patata.
Le total des forces de gauche historique de 44% lui est acquis. Evita et son look improbable n’ont pas évité la déroute (2,31%) mais les verts s’étaient déjà ralliés en novembre pour 60 circonscriptions de plus et contre 25 centrales nucléaires en moins. Belle tromperie sur la marchandise. Jean-Luc Mélenchon (11,11%) a lui largement perdu sa bataille contre Marine Le Pen, notamment sur le vote ouvrier, mais a appelé à faire battre Nicolas Sarkozy sans rien attendre en retour et sans citer le nom de son ancien camarade socialiste. Consigne de vote de sagouin qui montre bien que le Front de Gauche n’a pas fini de poser des problèmes au PS.
Deuxième arrivé et plus que jamais challenger, Nicolas Sarkozy (27,18%) est le premier président sortant à ne pas arriver en tête d’un 1er tour. Il ne crée pas la dynamique qui était sa dernière chance de victoire, même si son camp aura défendu avec une incroyable mauvaise foi son score plancher. Une nouvelle campagne commence après un 1er tour à 9 contre 1, où il en appelle au courage, à la responsabilité et à la vérité pour souligner le contraste avec François Hollande. Il propose trois débats d’entre-deux-tours pour voir si son adversaire esquivera, espérant couper la poire en deux et en obtenir deux. L’autre se dérobera, et c’est son droit.
Un débat permettra néanmoins de révéler comment François Hollande pense financer ses (bonnes) intentions qui sont des désirs avant d’être des mesures permettant de les réaliser. Mais il n’est jamais bon de poser des questions de journaliste, Alain Juppé en a fait l’amère expérience en janvier. Il permettra aussi à François Bayrou d’assumer enfin ses responsabilités après s’être dérobé en 2007. En 2012 il a déçu (9,13%) mais a promis de poser un questionnaire à la Arnaud Montebourg et de faire le tour du propriétaire des valeurs des deux finalistes, ce qui ne devrait pas favoriser le président sortant. Mais il ne sera pas faiseur de roi et on le draguera peu.
Il ne lui reste plus qu’à recomposer le centre et à dénoncer le « mal français », ce tiers d’électeurs hors système. Comme en 2002 sans 21 avril mais avec le score le plus élevé de l’histoire du FN (17,90%). Marine Le Pen a fait mieux que son père et rêve de remplacer l’UMP dans l’opposition. Elle se prononcera le 1er mai mais ne sauvera pas Nicolas Sarkozy à qui elle compte bien faire payer les 10,44% de 2007. Pourtant, elle a chanté dans son discours l’identité nationale là où le président en écho subliminal louait les frontières, la sécurité et les valeurs.
En 1988, Jacques Chirac terminait le 1er tour très en retard sur François Mitterrand et devait rallier à la fois le centre et l’extrême droite. Jean-Marie Le Pen l’avait aidé en demandant de « ne pas donner une seule voix aux socialistes » mais le candidat RPR n’avait pas voulu d’un accord électoral d’entre-deux-tours. Il s’était arrêté à la croisée des chemins et au milieu du gué. En 2012, Nicolas Sarkozy osera-t-il ? Or le résultat final bien que su de personne est connu de tous. Il devrait être de 54% à 46% en faveur de François Hollande, comme François Mitterrand en 1988. Nicolas Sarkozy aura été balayé comme ses petits camarades européens.
S’ouvriront alors deux batailles le 7 mai. Une à gauche, pagailleuse, où les socialistes rêveront d’une vague rose aux élections législatives comme en 1981 et leurs alliés d’une victoire étriquée comme en 1988 pour récupérer un maroquin. Une à droite, pas gaie, où dans le chaos qui suit les déroutes électorales les députés UMP partiront en fronde avant de perdre leur siège, sans pouvoir se cacher derrière les rideaux ou Jean-François Copé.