« Le désordre est le meilleur serviteur de l’ordre établi »
Paul VALERY (1905-1980) – Philosophe français et toujours bien organisé
La France est un beau pays. Elle est enviée dans le monde entier pour ses paysages, son terroir et sa gastronomie. C’est la première destination touristique en termes de visiteurs, même s’ils ne font que passer au lieu de s’arrêter pour dépenser quelques devises. Mais la France n’a jamais été très forte en économie. C’est pourquoi elle a tant de mal à valoriser son joli territoire et à y développer des activités porteuses de croissance et d’emploi. Elle tente comme les autres de faire de l’aménagement du territoire, mais en fait elle fait du déménagement du territoire.
Dans les années 1970, le ministre de l’aménagement du territoire Olivier Guichard tenta de ménager les territoires en leur imposant sa tutelle. De cette époque vient le développement des métropoles et des zones d’activités avec la Datar, mais les résistances furent trop fortes. La gauche a compris qu’il fallait donner le pouvoir aux élus locaux pour les contrôler. Dans les années 1980, le ministre de l’intérieur Gaston Defferre actait la décentralisation et leur donnait la compétence du développement économique sans ôter à l’Etat la gestion de la fiscalité locale.
Comme on pouvait s’y attendre, cette politique n’a pas cassé des briques et l’Etat est resté central dans un système centralisé. Les présidents ont rivalisé d’idées drôles et drolatiques pour garder la main. En 1992, François Mitterrand créait spécialement la fonction de ministre de la ville pour le très spécial Bernard Tapie, spécialiste du spectacle. En 2009, Nicolas Sarkozy appelait Christian Blanc pour être ministre du Grand Paris, un petit poste créé pour l’occasion pour embêter le géant démographique président de la région Ile-de-France Jean-Paul Huchon.
Or le problème de la France est dans ses déséquilibres. Sa capitale boursouflée affiche une agglomération de 10 millions d’habitants et surclasse Lyon sa dauphine. Gérard Collomb dit vouloir faire de sa ville une cité européenne et un pôle économique de premier plan mais il est le dernier à le croire. En 1982, Gaston Defferre créait la loi PLM et ressuscitait une vieille ligne de chemins de fer bien connue. Cette loi modifiait le mode d’élection des maires de Paris, Lyon et Marseille en introduisant des arrondissements. La réponse était dans la question : il voulait en fait sauver son mandat face à la poussée de la droite locale en charcutant le territoire.
C’est dire le sérieux avec lequel est traitée la question, pourtant grave. Le désert français avance, avec cette Creuse où personne ne veut aller et sa diagonale du vide et ses zones rurales. Le sud-ouest n’existe pas en termes de population exceptées ses grandes villes Bordeaux et Toulouse et ses stations balnéaires Biarritz et Arcachon. Le nord-est n’existe plus depuis la désindustrialisation qui l’a rempli de chômeurs, de pédophiles et de consanguins. Pour compenser et récompenser ces zones sinistrées, Nicolas Sarkozy a implanté l’Insee à Metz alors que tous les chiffres sont à Paris. Le cliché du statisticien en costume gris austère a la vie dure.
La politique d’aménagement intérieur doit créer des logements et du travail. Pour cela, il faut de l’argent et de la solidarité. Entre communes, qui tendent de plus en plus à opérer par intercommunalités pour ne pas que leurs équipements disparaissent. Entre régions, qui mettent en commun leurs économies avec la péréquation financière. Entre pays, même si l’Europe qui a longtemps fonctionné grâce aux fonds structurels touche le fond dans la conjoncture actuelle.
La politique d’aménagement intérieur doit faire des choix et s’y tenir. La France a une identité rurale qui fait toute sa valeur et toutes ses valeurs, mais elle peut préférer développer le fait citadin avec la périurbanisation du moment qu’elle assume. Les collectivités locales peuvent gérer l’urbanisme et le foncier mais elles doivent cesser d’empiler les Scot et les PLU pour épater la galerie et s’épargner l’effort de la synthèse. Les villes peuvent faire de leurs centres des musées, mais elles doivent arrêter de vouloir en même temps le développement économique et la mixité sociale alors qu’elles accumulent les friches industrielles et les banlieues délabrées.
En France comme ailleurs, il ne pleut que là où il y a des flaques. Seuls les territoires les plus riches attirent les habitants et les entreprises. Et inversement. Alors que les villes sont surpeuplées et affichent des loyers hors de proportion, les campagnes se dépeuplent et ce n’est même plus un sujet de campagne. Les aménageurs devraient avoir en tête deux maximes pour faire plaisir aux ménages qui peinent à surnager. Une : on peut avoir la même identité sans être identiques. Deux : la diversité des territoires ne doit pas donner la fracture des territoires. Voilà.