« En France, ce que pense la province importe autant que ce que pensent mes jambes »
Heinrich HEINE (1897-1956) – Poète allemand et au ton provincial
Le président a parlé. C’était dans un pompeux amphithéâtre de la Sorbonne et c’était pour ne rien dire. François Hollande devait annoncer l’acte III de la décentralisation censé à la fois annuler la réforme territoriale de Nicolas Sarkozy et donner une nouvelle impulsion aux collectivités locales. Mais c’est un acte manqué. Sa feuille de route est une feuille volante et ses mesures sont des mesurettes. Il n’a pas osé supprimer d’échelons et leur a même rajouté des compétences. Il a peu proposé d’orientations et laissé cette mission à un observatoire de trop. Il a supprimé le conseiller territorial et ne l’a remplacé que par un report des élections à 2015.
La droite avait la partie facile en dénonçant une manœuvre pour gagner du temps alors qu’elle ne fait qu’alléger un calendrier électoral surchargé en 2014. C’est la gauche qui a le plus fait historiquement pour la décentralisation en France, un mérite qu’on ne lui enlèvera pas. Elle a fait les lois de décentralisation créant les conseils régionaux et élargissant les attributions des conseils généraux en 1982. Elle a fait les communautés d’agglomérations et les communautés de communes en 1992. Elle a juste oublié de définir clairement qui faisait quoi et quand.
C’est un exploit quand on songe que la France reste un pays effroyablement centralisé. L’Etat est tout et rien ne se fait malgré lui. Cette logique totalitaire est même très présente chez les socialistes, que le conflit entre la première gauche jacobine de François Mitterrand et la deuxième gauche girondine de Michel Rocard a longtemps divisés. C’est pourquoi la droite a repris le flambeau et a beaucoup fait depuis dix ans. C’est elle qui a amélioré la démocratie locale avec sa loi de 2004. C’est elle qui a voulu sauver le système avec sa grande loi de 2010.
La France des collectivités locales est bien malade. Le mille-feuilles administratif est incompris et la répartition des compétences est incompréhensible. Sauf pour les quémandeurs de subventions, qui pointent à tous les guichets et profitent des cofinancements croisés entre institutions. Lancée pour réduire le coût du nombre d’élus, la réforme de la droite visait aussi à clarifier les compétences pour qu’elles ne soient pas partagées mais exclusives. Chacun dépense dans son domaine. C’est cette avancée que les socialistes ont dans leur grande candeur abrogée.
La gauche n’a voulu sacrifier personne, même pour sauver tout le monde. Elle détient une grande partie des collectivités locales et ne pouvait se mettre à dos ses présidents, même si elle peut tous les perdre en 2015. A défaut de supprimer, il aurait fallu clarifier. D’une part les compétences en attribuant clairement l’économie aux régions et intercommunalités et le social aux départements et communes. D’autre part les quantités en regroupant les 36000 communes et les 22 régions pour qu’elles collent à la réalité. Soit faire une refonte qui soit une fusion.
Mais la clarification de la carte territoriale se heurtera toujours au même problème tant qu’on continuera à créer des structures. Le moindre syndicat d’initiative aura toujours droit à la parole et au regard puisqu’il a compétence sur son territoire. Il est empêché par ses moyens mais peut empêcher. Il n’est jamais bon signe de lancer des Etats généraux. Cela annonce soit une révolution soit une crise. Le problème de la décentralisation, c’est aussi que les collectivités sont trop petites et trop peu structurées pour exercer convenablement leurs compétences.
La question de l’argent sera forcément mise sur la table. Après avoir tout mis sur le dos de l’Etat cinq ans durant, les collectivités socialistes vont pouvoir réclamer au gouvernement les moyens financiers pour utiliser leurs pouvoirs. Celui qui commande paie, mais surtout celui qui paie commande. Les collectivités locales ne vivent pas de leurs impôts que la suppression de la taxe professionnelle a appauvris. Elles doivent taxer soit les habitants soit les entreprises, jamais les deux en même temps. Elles vivent donc des dotations de l’Etat et des fonds de péréquation alimentés par les plus riches. Elles réclament donc peu pour ne pas perdre le peu qu’elles ont.
Le plan mal fagoté de François Hollande n’est pas allé jusqu’à un tel degré de courage. Il n’a qu’incanté que la région financera l’innovation et le département paiera la dépendance. Avec les sous de l’Etat, instigateur et victime de la décentralisation. Ce n’est plus un sujet central si on en juge par l’inconsistance des orientations annoncées. L’Etat propose et les collectivités disposent, mais le compte n’y est pas. Dans la république des copains et des coquins, il manque deux idées. Las bassins de vie, qui rendent cohérents les territoires où s’exerce l’administration. Et les chefs de file, qui coordonnent les projets et rationalisent la dépense publique.