« Chaque médecin a sa maladie favorite »
Henry FIELDING (1707-1734) – Dramaturge anglais et médecin malgré lui
On critique souvent la démocratie. Le modèle représentatif libéral ne se résumerait qu’à des élections, plus ou moins suivies par les électeurs et plus ou moins suivies par les élus. Les uns vivraient sans la politique voire contre la politique et les autres vivraient pour la politique et plus sûrement de la politique. On réclame la représentation proportionnelle ou la démocratie participative pour y remédier. C’est mal connaitre le système, qui est toujours très conservateur.
On critique souvent le corporatisme. Les intérêts bien compris des groupes sociaux sont toujours défendus avec pertes et fracas et pertes et profits par des corps intermédiaires offensifs dans des grandes manifestations improductives. Ils freinent les avancées politiques, encombrent la modernisation économique et annihilent le progrès social. Sauf que les groupes de pression ont réussi à se refaire une virginité avec la crise des institutions. C’est le néo-corporatisme.
Le néo-corporatisme, c’est le mélange savant entre la démocratie et le corporatisme. Le peuple en avait assez de voter puis de se taire et voulait reprendre le contrôle sur la politique. Les lobbys en avaient assez de dépendre du pouvoir et d’attendre alors ils ont fait dépendre le pouvoir d’eux. Les nouveaux corporatistes, ce sont ces acteurs-réseau qui disent représenter les autres et qui ont réussi à imposer l’action publique négociée dans les circuits de décision.
Avant, le peuple était semi-souverain et la confiance dans le système était en chute libre. Maintenant, la démocratie est en continu et le citoyen est constamment défendu. Les syndicats vont à Matignon pour faire pression sur le 1er ministre et annuler un plan de licenciement. Les familles vont à l’Elysée pour s’assurer que le président ne va pas leur faire un enfant dans le dos en pondant une loi sur le mariage homosexuel. Les portes du pouvoir sont grandes ouvertes.
A tous et à n’importe qui. Au nom de la démocratie, on perd en efficacité en prenant les avis de tout le monde. Et surtout en les confrontant : plus on négocie avec un nombre élevé d’interlocuteurs, plus la chance d’aboutir à un accord diminue. La concertation promise plus que promue par le gouvernement consiste à prendre l’avis de tout le monde en public pour que chacun prenne en otage le débat. Des négociations secrètes, on est passé au micro ouvert.
Il est utile de consulter tous les avis avant de se faire sa propre idée, comme le font les sénateurs aux Etats-Unis. Mais personne ne se laissera prendre par la supercherie. Au royaume de l’arrangement, les relations personnelles que peuvent avoir un élu et un influenceur rendent le premier dépendant et le second souverain. Quand la décision publique est conditionnée par un intérêt privé qui se drape des oripeaux de l’intérêt général, en général tout est perdu.
C’est en voulant imposer le bonheur à tous qu’on anime la haine de tous. Il aurait été trop facile que le néo-corporatisme révolutionne la démocratie à lui seul : « A quelle heure on change le monde ? On va essayer de venir ». La démocratie reste le lieu du conflit et non celui de la connivence. Agir pour le compte du peuple sans lui rendre de comptes, c’est se mettre à sa place et lui prendre sa place. Il y a déjà les partis pour cela, mais eux ont des militants.
Le néo-corporatisme n’est pas ce système désintéressé où les acteurs regroupés dans des associations sous l’égide de l’Etat apportent leurs contributions en vue de meilleures décisions. Le citoyen y est encore plus inactif et encore moins libre qu’avant, pris en tenailles entre ces porte-paroles qui l’usurpent et cet Etat à la fois surpuissant et sous-puissant. Ce qui marche, ce sont toujours le dialogue en amont et la confiance réciproque. Pas la séduction et la tromperie.