« Un État fait la politique de sa géographie »
NAPOLÉON (1769-1821) – Empereur français et toujours excellent
Aujourd’hui, petit cours de géopolitique. Avec un cas pratique : le Japon. Pratique car facile à comparer à d’autres exemples connus du tableau noir, dans une discipline qui fait rêver tout le monde. La géopolitique, c’est de la politique conditionnée par la géographie. Le rapport qu’un pays entretient avec le monde est déterminé par sa position sur la carte : sa superficie, sa démographie, son climat, ses ressources naturelles, son voisinage. Et la manière de s’en servir, les décisions des hommes. A ce jeu, on peut dire que le Japon n’est nippon ni mauvais.
Il faut se fixer des priorités en politique extérieure. Celle du Japon est de rester une île, forte de ses 128 millions d’habitants et de son économie hyper-compétitive. Un exemple pour tous les pays de la région, à commencer par la Corée du Sud. Le rapport au continent n’est pas anodin : ce n’est pas la même chose d’être au centre ou à la périphérie, au cœur du Grand jeu ou au milieu de l’Océan mondial. Comme la Grande-Bretagne, le Japon est au milieu des mers et pourtant dans une position charnière. Elle est dans cet Océan Pacifique qui régit le monde.
Pour être en position de le dominer il faut avoir une position : s’isoler ou s’engager. Le Japon a fait le choix de se cacher après la honte de sa déroute à la Seconde guerre mondiale. Comme l’Allemagne, elle a renoncé à l’ambition et les traumatismes nucléaires d’Hiroshima en 1945 et de Fukushima en 2011 ne l’ont pas aidé à retrouver de l’amour-propre. Le Japon vit heureux car il vit caché, dans cette neutralité qu’on qualifie de « finlandisation » pour décrire ces pays qui acceptent d’être soumis à la tutelle de l’impérialisme d’un voisin plus puissant.
Ce voisin c’est les États-Unis. Le Japon est son grand allié dans la région, sa base arrière pour y poser des missiles. Cette amitié crée des inimitiés avec les autres puissances de la région, de la Corée du Nord staliniste à la Russie poutiniste. La controverse autour des Îles Kouriles en fait foi. Rien à voir cependant avec les tensions avec la Chine : les deux pays se chamaillent en permanence. Non pas avec des fantassins et des baïonnettes, mais avec de la diplomatie molle et des symboles historiques. Entre Tokyo et Pékin, le souvenir de la guerre n’est jamais loin.
La perspective un peu moins. Avant de conquérir un territoire, il faut être souverain sur le sien. La meilleure attaque est la défense et la meilleure défense est l’attaque. La Chine met constamment la pression sur le Japon avec le souvenir des crimes du siècle dernier car c’est un jeu d’échecs et un jeu de dominos : dès que l’adversaire reconnait une fois sa faute, il est obligé de céder sur tout. C’est pourquoi l’Europe a voulu l’indépendance du Kosovo pour mettre en difficulté la Russie. C’est pourquoi l’Algérie demande constamment des excuses à la France.
La guerre fait bien plus pour la paix que les traités. Ce sont même les traités qui créent le plus la guerre. Ils mettent des pays sous pression et créent des précédents irréversibles. Celui de Versailles disait que l’Allemagne paierait et il y eut la guerre. Le Japon est le pays du soleil levant. C’est aussi celui des sumos : quand il se bat il en fait des tonnes mais c’est extrêmement rare. Sa population vieillit. Sa jeunesse est triste. Son 1er ministre est impopulaire. Son économie est vieillissante. Ses finances sont moribondes. Il veut la paix. Mais il n’en a pas les moyens.
Le Japon est situé sur une zone sismique en termes géostratégiques. Entre la Chine, les États-Unis et la Russie. Au bord de la mer pour y baser une flotte et faire du commerce. Sans mers chaudes, point de ports. Près des terres pour occuper un espace vital et partir à l’attaque. Sur un relief accidenté pour résister aux agressions et ne pas se laisser envahir, tel l’Afghanistan avec ses montagnes ou l’URSS avec le Général Hiver. La géopolitique c’est de l’occupation et des positions. Il vaut mieux dominer la guerre de position que perdre la guerre de mouvement.
Le Japon ne demande rien et il n’a d’ailleurs rien. Ni richesse naturelle qui fait de ces si petits espaces de tels enjeux géostratégiques. Le Zaïre pour l’uranium. Les Îles Malouines pour les zones économiques exclusives. Le Caucase pour le gaz. L’Irak pour le pétrole. La bande de Gaza pour l’eau. Le vignoble du Bordeaux pour le vin. On est souvent pauvre de ses richesses. Ni détroit stratégique comme le Bosphore et Gibraltar dont on dit qu’il ne faut laisser personne gérer les deux côtés. Le Japon s’est fait tout seul. Ce n’est ni un État-tampon ni un État bidon.